L’origine de la copule… et des particules ou "combien de copules possède le japonais ?"


La copule est un élément central du japonais. Les particules également. Le lien qui les unit ne tient pas seulement à ce rôle central...

S’il y a bien un élément central en japonais, c’est la copule /です. On la retrouve un peu partout. Et il serait certainement bien difficile de rédiger un texte sans y avoir recours. Aujourd’hui, on va s’intéresser à l’origine de cette copule. Pourquoi regarder d’où elle vient ? Parce que, et d’une, c’est une histoire réellement surprenante. Et de deux, parce qu’elle va nous enseigner plusieurs choses sur d’autres mots du japonais. Des mots qui, a priori, n’ont rien à voir avec cette copule. Vous êtes prêt ? On est parti…

 

La langue japonaise peut être divisée, de façon schématique, en plusieurs époques [1] :

  • Le haut japonais (700 à 800, période Nara)
  • Le moyen japonais précoce (800 à 1200, période Heian)
  • Le moyen japonais tardif (1200 à 1600, périodes Kamakura et Muromachi)
  • Le japonais moderne (1600 à maintenant, périodes Edo à aujourd’hui)


En haut japonais, la copule existe déjà. Ou plutôt les copules. En effet, on dénombre deux copules : une en n- et une en t-. Chacune a plusieurs inflexions : no, ni et nite ; tu et to. Ces inflexions correspondent à des utilisations particulières. Dans tous les cas, il s’agit toujours de la copule mais elle va, à chaque fois, exprimer des nuances particulières.

 

Les formes tu et no sont toutes les deux en lien avec les noms ou des mots nominalisés. Il semble que tu ait eu un usage plus restreint que no. Le premier était lié uniquement aux noms et aux adjectifs là où le second, plus commun, pouvait être lié également aux propositions nominalisées.

 

Les formes ni et to sont utilisées pour exprimer un lien de ressemblance (c’est également le cas de no mais jamais en fin de proposition, dans ce cas-là). Elles sont également utilisées pour transformer en adverbe d’autres mots. Concernant nite, c’est la même chose que pour ni, excepté qu’il s’agit de la forme suspensive (semblable aux verbes en -).

 

A lister ces formes prises par les deux copules du haut japonais, on peut s’étonner de la ressemblance avec les particules bien connues ni, no et to. Bien entendu, ce n’est pas une coïncidence. Les particules si fondamentales du japonais modernes sont, en réalité, des formes des copules existant au haut japonais (et sans doute avant). Et c’est tout à fait logique. Qu’est-ce qu’une copule ? C’est un moyen pour exprimer une correspondance entre deux éléments. さくらは日本人(にほんじん)だ。On fait une correspondance, un lien entre さくら et 日本人. Or, que font essentiellement les particules en japonais ? Elles créent des liens entre les mots, des correspondances. « 私の犬 » peut être traduit en français par « mon chien » ou plus littéralement « le chien de moi ». En effet, la particule transcrit une appartenance entre et . Mais, sachant qu’en réalité les particules correspondent à des formes d’une copule, que signifie littéralement cette expression ? 私の signifie « ceci correspond à moi ». Et cette périphrase décrit le mot qui suit, à savoir . Pourquoi le premier décrit le suivant ? Parce que le japonais est fait ainsi : tout ce qui apporte de la description, du détail se trouve avant ce qui est décrit. Le japonais n’arrête pas de faire cela : il met des propositions avant un nom qui est décrit par cette proposition. Le français ne fonctionne pas de la même façon : on a besoin d’utiliser un mot servant de lien entre le nom décrit et la proposition qui décrit. Dans notre exemple, le japonais dit en réalité la chose suivante : « le chien qui correspond à moi ».

 

Et c’est ainsi pour les autres particules et . A chaque fois, il s’agit d’une copule qui, à force d’être utilisée, a fini par devenir une particule.

 

A côté de l’emploi des copules seules, on rencontre une forme accompagnée du verbe d’existence ある, sous les formes de とある, にある et にてある. L’avantage d’ajouter ce verbe est de pouvoir disposer de toutes les formes et donc de tous les temps du verbe. C’est d’ailleurs sa seule fonction puisque, dans ce cas, ある ne porte aucun sens en lui-même. Ces constructions vont devenir plus courantes au moyen japonais précoce. Si la construction initiale perdure toujours, cette forme secondaire prend toute sa place, à tel point que l’usage va abréger cette forme. とある devientたる. Celle-ci reste cependant utilisée de façon très limitée, elle n’aura donc pas de descendance en japonais moderne. Au contraire, にある va devenir なる (qui n’est pas lié au verbe なる, devenir) et avoir une réelle postérité jusqu’à aujourd’hui (comme on le verra plus loin). Quant à にてある, il va se simplifier plus encore. Nite va perdre son [I] pour devenir nte, puis nde et enfin de. C’est ainsi qu’apparait le fameux mot qui va être à la fois une particule et un élément de la copule . En effet, cette dernière n’est jamais que la contraction de である. Le dans である est donc la copule dans sa forme suspensive にて, abrégé en . Encore une fois, une copule a donné naissance à une particule.

 

Le moyen japonais tardif perd quasiment la copule , et たる puisque seul persiste. Les copules continuent à se simplifier. Ceci se fait par la perte de la finale - : なる devient et だる (abréviation de である) devient (avec une forme intermédiaire en dya). C’est ainsi qu’apparait effectivement la copule dans sa forme actuelle. Cette époque connait aussi une tendance à réserver la copule aux noms et aux autres cas. Ce n’est qu’une tendance, les deux étant encore interchangeables.

 

Tout est donc en place pour le japonais moderne. Nous retrouvons la copule dans sa forme actuelle. Quant aux particules , , et , même si elles conservent l’idée de la copule, elles ont clairement pris leur indépendance en devenant de réelles particules.

 

Connaître un peu l’histoire des mots est toujours une chose plaisante. Cette histoire nous a également permis de mieux comprendre comment fonctionnent réellement les particules, ou plus exactement les copules devenues particules. Certains pourraient se demander si tout ceci n'est pas un long détour pour pas grand-chose. Après tout, il suffit de connaître le rôle des particules. Et l’ignorance de leur ancien statut de copule ne change, à dire vrai, pas grand-chose à l’affaire. Mais ce long détour a tout de même un autre intérêt. Une chose qui n’est pas souvent enseignée. Une chose qui, pourtant, permet de mieux comprendre le fonctionnement du japonais.

Le japonais moderne ne possède pas une copule mais deux. Je ne parle pas de です (certainement une fusion de でございます). Non, une autre copule à côté de . Elle nous vient du moyen japonais tardif : c’est . Les enseignements classiques parlent des adjectifs en . Pourtant, ce n’est pas ainsi que fonctionne le japonais. Ce ne sont pas des adjectifs, ce sont des noms. Et comme tels, ils ne peuvent réaliser une correspondance avec un autre nom sans une copule (rappelez-vous, c’est le rôle de toute copule, faire des correspondances). Si on dit きれいなひと, on n’utilise pas un adjectif (きれいな) pour qualifier un nom (). On utilise la même périphrase que nous avons évoquée plus haut, avec 私の犬 . きれいな est bien un nom suivi d’une copule. Certes, c’est une copule particulière parce que l’évolution de la langue n’autorise cette copule qu’après un nom et en position non-finale (c’est la suite logique de ce qui apparaissait en moyen japonais tardif). Mais c’est bien une copule. Avec きれいな, nous avons bien une proposition qui devrait être traduite par « cela correspond à l’élégance ». Et cette proposition décrit le nom qui la suit, à savoir . Le tout signifie donc « un homme qui correspond à l’élégance ». Le japonais ne dit pas autre chose. Si on ignore que est une copule, si on ignore l’histoire des copules en japonais, alors on a toutes les chances de passer à côté de ce que dit réellement le japonais. Et donc de le comprendre.



[1] Pour cet article, je me suis largement inspiré de l’ouvrage de Bjarke Frellesvig, A History of the Japanese Language. Pour tout complément, approfondissement (ou meilleure explication ?), je renvoie le lecteur à ce livre… malheureusement en anglais, vous l’aurez compris.

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